Il en va de Stephen King comme des vins des grands châteaux, jamais de piquette mais certaines années offrent des crus d’exception. 2011 (car il vient de sortir en France mais est paru en novembre 2011 aux States) est une cuvée exceptionnelle, tel un Yquem 76 il est fruité et riche en bouche.
Ce roman est à mon avis son oeuvre maîtresse à ce jour, à la fois roman fantastique, policier, historique et même d’amour, chacun y trouvera largement son compte car toutes ces facettes sont traitées avec la maestria du grand écrivain.
Comme le titre l’indique, l’intrigue (ou plutôt les intrigues croisées) du récit tourne autour de l’assassinat de Kennedy à Dallas le 22/11/63. Stephen King a toujours été insatiable sur cet événement qui, pour lui, est LE fait majeur du XXème siècle.
Vous avez aimé “La machine à remonter le temps” de Wells ? Vous allez adorer 22/11/63 !
Aux côtés de Jake Epping, professeur d’anglais (qui n’est pas sans rappeler King lui-même quand on connait sa bio) vivant aux Etats-Unis en 2011, nous voyageons dans le passé grâce à une faille temporelle permettant d’effectuer des allers-retours 1958/présent et espionnons durant des années Lee Harvey Oswald, le suivant pas à pas dans le but de l’empêcher de tuer JFK et de changer ainsi le cours de l’histoire. Le raisonnement de Jake est simple : pour lui (et son ami Al) si Kennedy ne meurt pas, il n’y a peut-être pas de guerre du Vietnam, pas d’émeutes urbaines dans les années 1960 et l’assassinat de Martin Luther King n’a donc pas lieu lui non plus, que de vies sauvées ainsi !! Tout cela parait sensé et logique non ? Sauf que… Ici entre en jeu la théorie ô combien passionnante de l’effet papillon, fil conducteur du roman : chaque changement même minime du passé a des répercussions dans le futur et à vouloir éviter un drame ne prend on pas le risque d’en provoquer un plus terrible encore ?
Outre cet assassinat, Jake, endossant le rôle de justicier solitaire, a aussi à coeur de changer d’autres événements concernant des personnes de son entourage plus ou moins proche.
Jusqu’à vouloir finalement au bout du compte changer aussi sa propre vie quand il rencontrera par hasard l’élue, l’autre, sa moitié, la femme de sa vie. Seul soucis, oh trois fois rien, vraiment ! Une broutille je vous assure : il tombe amoureux de la belle alors qu’il est officiellement à des dizaines d’années de naître.
De 1958 à 1963 auprès de Jake nous redécouvrons une Amérique où les noirs subissant de plein fouet la ségrégation sont bien loin d’imaginer qu’un jour un de leurs enfants deviendra président des Etats-Unis. Ce tableau sociologique magnifiquement évoqué de cette Amérique profonde est d’un réalisme incroyable tant sur les détails anodins et les objets de la vie quotidienne de l’époque mais aussi par l’approche pointue de la mentalité d’une ère heureusement révolue où les femmes étaient soumises et surveillées et les apparences reines.
Ce périple est à la fois temporel et spatial, Jake s’installant au fil du temps et suivant les buts qu’il s’est fixé dans différents lieux dont l’effrayante ville de Derry. Si vous êtes comme moi fan de Stephen King et avez lu “Ça” (“It” en V.O) cette ville est loin de vous être inconnue car c’est celle qui servi de décor à la fameuse histoire du clown tueur d’enfants.
L’écrivain s’amuse d’ailleurs à mêler là aussi réel et imaginaire : le livre que Jake écrit n’est ni plus ni moins son propre roman “Ça” ! Ce petit clin d’oeil aux lecteurs fidèles installe une complicité entre lui et nous ma foi fort sympathique.
Nous découvrirons au fil du récit que des constantes parallèles, que Stephen King nomme poétiquement “harmoniques”, existent dans les voyages temporels
et que, habité par une force phénoménale, le passé se protège contre toute tentative de changement.
Déchiré entre son amour et la mission qu’il s’est fixée quel sera son choix ? Et nous, dans pareille situation, que ferions nous ?
En résumé nous avons entre les mains un monument littéraire, fantastique reconstitution des années 60 mais aussi un recueil historique maitrisant tous les faits et gestes réels de Lee Harvey Oswald, preuve d’un travail de documentation colossal. Des passage intensément sombres, d’autres plus légers, une succession de rebondissements et péripéties, et même une romance non niaise, tout cela dans un seul livre. Cette réussite totale prouve encore une fois l’extraordinaire talent du King, maître du suspense et au sommet de son talent. Du grand art !
Si, une fois la lecture de 22/11/63 terminée, vous avez envie de découvrir la fin que S. King avait initialement prévue (c’est en anglais seulement) allez donc faire un tour sur son site officiel : ICI.