Avec un sujet aussi dur que l’armée, le livre ne pouvait être que dur. D’autant que Estelle Tharreau pousse le curseur très loin en s’intéressant à un soldat qui qui revient de nombreuses opérations particulièrement difficiles et qui, comme ses camarades, est désavoué par les politiques et donc son armée. Celle-ci le reclasse à la vie civile, l’entraînant ainsi dans un nouveau lot de difficultés.
Pour se placer à une distance raisonnable de son personnage et conserver une bonne empathie, Estelle Tharreau a choisi de confier la narration de son livre à un reporter de guerre qui a croisé notre soldat à de nombreuses reprises sur ses théâtres d’opérations. Ce choix est particulièrement judicieux car ainsi le narrateur est à la fois extérieur à l’armée et à la vie civile, et connaît et comprend parfaitement les ressentis de son soldat. Cela, allié à une narration à la première personne, va rendre ce livre prenant, et même angoissant. Ne vous y trompez pas, ce n’est pas un récit de guerre sur une bataille ou sur un conflit dans un pays étranger, c’est une réflexion sur la guerre, l’armée, les politiques, assortis d’un certain nombre de messages et même d’alarmes.
Cela va également plus loin, car je n’ai pas encore abordé l’un des axes principaux du livre, et bien entendu l’une des préoccupations majeures des soldats au front : la famille, et surtout bien sûr, la famille proche : femme et enfants. Comment, après avoir traversé de nombreuses fois des épreuves insurmontables, les retrouver, les comprendre, s’en faire comprendre ? Comment en vouloir à ses femmes et enfants de se détacher de tels maris, surtout quand l’opinion publique ne les soutient plus. Et ensuite, comment ne pas comprendre que ces soldats qui en ont trop vu et vécu disjonctent quand ils se retrouvent seuls, comme notre personnage : lâché par sa femme, sa fille, expulsé de l’armée et de sa camaraderie, pointé du doigt par l’opinion publique, et tout ça alors qu’il n’a rien à se reprocher en tant que soldat ?
Incrédule et désespéré, il relève les yeux vers moi et me dit :
« Vous y étiez, vous aussi. Depuis le début. Comment voulez-vous que je raconte ça à une môme ? »
Claire est amère, car, avant la peur, il y a eu si peu de moments de bonheur et, si vite, une incompréhension entre eux ; entre une femme et un soldat.
Comme le laisse entendre certains titres de chapitre de ce livre, cela peut devenir de véritables bombes à retardement dont l’armée devrait s’occuper attentivement.
Il va devenir et procéder comme ceux qu’il a toujours combattus parce qu’il n’y a plus que cela qui semble marcher et faire réagir dans ce monde. Il a été soldat de la paix. Il deviendra terroriste de la paix.
A propos de ces titres de chapitre, je ne suis pas en accord avec l’auteur : Ils semblent être un compte à rebours, mais comme la narration est essentiellement constituée de flashback, il est difficile de faire la part des choses et de s’y retrouver. Le premier, par exemple, annonce “J-1095 AVANT EXPLOSION” et le chapitre commence par “Dix-sept années auparavant”...
Et, au final, l’auteur rattrapée par les bons sentiments, ne déclenche pas l’explosion attendue.
Malgré cela, c’est un très bon roman, prenant, qui fait froid dans le dos, qui n’est pas tendre avec les institutions, mais au moins, en tant que membre à part entière de l’opinion publique, le lecteur y réfléchira à deux fois avant d’entériner des décisions ou de condamner aveuglément. Enfin, je l’espère, c’est mon côté “bons sentiments” que je partage avec l’auteur.