Ce livre nous plonge dans un univers où l’hypersensibilité d’Apolline, personnage central touchant de fragilité, se heurte à la carapace protectrice d’un père omniprésent. Dès les premières pages, un voile de mystère s’installe et nous captive avant de glisser progressivement vers une dimension plus surnaturelle, fortement teintée de vaudou.
Estelle Tharreau excelle dans la création de personnages attachants et profonds. Leur ambivalence, loin de tout manichéisme, ajoute une complexité narrative stimulante. Ce développement psychologique se déroule sur fond d’un clivage social marqué entre riches et pauvres, une toile de fond qui enrichit la trame du récit.
Elle explore également les thèmes de l’adolescence et de sa cruauté inhérente. Les dynamiques entre les jeunes personnages sont dépeintes sans concession, annonçant des rencontres explosives et chargées de tension. L’œuvre est parsemée de phrases ambiguës et prophétiques, instillant un sentiment constant de suspense et d’attente. D’autres thèmes importants comme le racisme et l’esclavage sont également abordés, complétant la dimension sociale et historique au récit. J’ai particulièrement apprécié le développement autour du vrai journalisme et de la transmission du savoir. Cela confère une dimension supplémentaire à la profondeur du récit.
Mais ce qui m’a le plus ouvert les yeux, c’est ce qu’elle m’a raconté sur sa vie de femme noire. L’enracinement dans son esprit de souffrances, de luttes, mais aussi d’une certaine dévalorisation de soi. Des siècles à être traitée et considérée comme un objet laissent des traces. Les efforts qu’elle a dû faire pour s’en affranchir.
Il faudrait peut-être que je le relise, mais je n’ai pas compris le “cycle” évoqué. Il y a effectivement plusieurs épisodes meurtriers à différentes époques ; j’en comprends la source et les victimes (encore que...), mais pas les déclencheurs ni la fréquence..
Le rythme de la narration commence relativement lentement pour permettre notamment au lecteur de se familiariser avec les personnages. Puis il accélère, rendant la lecture de plus en plus addictive et difficile à interrompre. Cependant, pris par l’action et le rythme soutenu, je me suis senti un peu désorienté par moment, face à la complexité des liens et l’ambivalence de certains personnages. Heureusement, l’ensemble finit progressivement par se démêler pour aboutir à une fin propre et complète.
Pour résoudre cette enquête, la journaliste va utiliser l’adaptation par ses parents de la « Théorie des quatre éléments ». Cette théorie revisitée est censée permettre de résoudre certaines affaires inexpliquées en s’appuyant sur le surnaturel, même si les meurtres, eux, ne le sont pas.
De nombreux crimes demeurent ignorés ou non élucidés. Or certains d’entre eux peuvent être résolus par des voies non conventionnelles et non rationnelles. Il s’agit des affaires réunissant ces quatre éléments fondamentaux :
• Un réceptacle spatial : un lieu marqué par la violence et la mort.
• Un blanc temporel : un moment inexpliqué dans l’histoire d’un lieu, d’un homme, d’une action.
• Une passerelle spirituelle : un lien spirituel (religion, croyance, philosophie).
• Un révélateur empathique : une personne sensible à l’imperceptible, apte à révéler le crime commis (souvent victime de violence psychologique ou physique).
Des pistes irrationnelles pouvaient mener à une solution rationnelle. C’était bien là tout le paradoxe des travaux de ses parents. Débusquer des crimes ignorés et des assassins bien réels par des voies paranormales.
Ici vous l’aurez compris, les pistes irrationnelles permettent de résoudre une affaire liée au vaudou. Et surtout, elles offrent à la jeune journaliste l’opportunité d’éprouver cette théorie, de se montrer convaincante et d’obtenir une chronique dans un journal. Le présent livre peut être vu comme le préquel, de nombreuses aventures, dont certaines sont déjà parues. D’autres viendront sûrement car l’irrationnel s’en mêle :
Lorsque la mine du stylo effleura enfin le papier, Marion sentit une discrète odeur iodée. Elle seule entendit ce murmure :
« Aidez-les comme vous nous avez aidés. Ils sont si nombreux… »
Vous avez ici un roman captivant malgré une complexité narrative qui peut parfois dérouter. L’habileté d’Estelle Tharreau à construire des personnages nuancés et à tisser une intrigue mêlant réalisme social et surnaturel est indéniable. Ce préquel est une invitation prometteuse à suivre les investigations singulières d’une journaliste confrontée à l’inexplicable.