2014-01-27 08:18
L’on ignore bien souvent le passé des autres, tout au plus connaît-on des bribes du passé de notre propre pays. La Seconde Guerre Mondiale, les camps de concentration et son lot d’atrocités : voici ce qui bien souvent définit pour nous la face noire de l’humanité. Mais on oublie que cette humanité ne se réduit pas à la France ou à l’Europe. De l’Amérique Latine, ne filtrent que les quelques infos distillées par la presse. Des dictatures ? Castro ? - Peut-être…Pinochet ? - Éventuellement, c’est un nom que l’on a pu entendre. Jorge Rafael Videla ? – hein ? Quoi ? Si l’on y réfléchit bien, cet oubli est d’ailleurs dramatique. On vit dans une société égoïste, nombriliste, qui a déjà du mal à régler ses comptes avec elle-même. Alors ceux des autres… Et l’Argentine est loin d’avoir réglé ses comptes avec son passé, d’autant plus que celui-ci est proche, très proche (1976-1983). C’est un pays qui se reconstruit, tant bien que mal, qui tente de faire face, mais il y a tellement de zones d’ombre, d’horreurs, qu’il est difficile de savoir par où s’y prendre. On ne peut faire table rase du passé. Caryl Férey nous entraîne dans la noirceur de cette Argentine contemporaine qui ne sait pas comment panser ses blessures. Tandis que certains veulent oublier – bourreaux et victimes -, d’autres demandent réparation – familles des victimes (Mères de la Place de Mai), victimes elles-mêmes -, ce que le gouvernement n’est pas en mesure de leur donner pour le moment. L’ombre des vivants (les tortionnaires) est là, tout comme celle des desaparecidos (les disparus). A l’image de Paula, l’un des travestis du roman, le pays tâtonne dans son appréhension de ce temps pas si révolu que cela. Le portait que nous dresse l’auteur est sanglant, violent, sans complaisance, à l’image de ces écorchés vifs qui déambulent au fil des pages. Âmes sensibles s’abstenir, c’est un roman percutant, où rien n’est gratuit, jamais occulté. Caryl Ferey énonce les choses, les faits, sans fioritures. Les mots sont durs, aussi dure que cette réalité, part entière de la société. Mais à travers ces ténèbres, une lueur d’espoir : l’histoire d’amour qui répare, qui fait avancer. L’amour qui fera renaître de ses cendres l’Argentine, et réconciliera les peuples. Et la plume de Caryl Ferey, si rude, revêt des tons de velours et nous embrasse de sa douceur. J’ai suivi cette lumière tout au long du roman, elle m’a donné de l’air, fait respirer, m’a donné la force de poursuivre, parce que l’avenir est amour… Un roman magistral (un grand bravo pour le travail de documentation), pour lequel je n’aurais qu’un seul regret : le titre. Il m’avait laissé croire que nous allions nous immerger dans les communautés indigènes (les Mapuches), alors qu’on ne fait que les frôler du doigt avec le personnage de Jana. Mais quel personnage… Alors finalement cela n’a pas d’importance. C’est un roman dont je ne suis pas sortie indemne. Véritable drogue… Malgré sa rudesse, je n’ai pu le lâcher.