2015-06-07 20:31
C’est un livre qui te kidnappe, pour quelques jours, parce que c’est fichtrement bien construit et que tu veux absolument connaître toute la vérité sur cette affaire. Tu veux pouvoir faire la lumière sur les évènements, comme les personnages, et tu chemines avec eux sur le sentier qui mène à l’illumination finale.
C’est un livre efficace, à l’américaine, comme on en manque un peu par chez nous. Et c’est exactement pour ça qu’il a fait mouche dans nos latitudes : parce que les recettes littéraires et scénaristiques anglo-saxonnes, surtout en ce qui concerne les polars, thrillers et autres affaires de crimes, font partie des meilleures.
Dicker ne fait ainsi qu’appliquer une formule toute simple que les traditions littéraires françaises s’évertuent à laisser de côté, sans doute par fierté et tradition nationales. (Ceci s’applique à de nombreux pans artistiques, notamment en musique, pour laquelle nous disposons d’un exemple parfait de la jeune chanteuse française R’n’B qui connaît un énorme succès ici depuis bientôt dix ans tout simplement parce que son son est produit outre-atlantique et respecte les codes qui font les tubes de là-bas, ces fameux tubes qui arrivent jusqu’à nous et continuent leur carrière sur d’autres continents).
De là par contre à lui décerner les prestigieux prix Goncourt des lycéens et de l’Académie Française, ça reste à voir. Car même s’il est très prenant, bien fichu, parfois même inspirant, ce livre est blindé d’anglicismes (non, on ne “visite pas quelqu’un”, ni on ne “reçoit un téléphone”, tout comme on est encore moins “confortable” dans un vêtement... Comment l’Académie a-t-elle pu laisser passer ça ??) et de coquilles/fautes (p332 subjonctif oublié dans “une chance que je vous ai croisé”, p424 on a mal relu “pour prévenir à la police”, p379 et ailleurs une tendance à mettre un partitif pluriel devant un groupe nominal pluriel comme dans “des puissants groupes halogènes”, faute récurrente partout mais qui persiste à m’irriter, ou pour terminer on oublie l’accord p584 dans “Nola est habité”, Nola étant une jeune demoiselle...). Cher Joël Dicker, les grands prix ne vous exemptent pas d’écrire en français, ou du moins n’exemptent pas votre maison d’édition de passer derrière vous et de vous corriger.
S’ajoutent à cela des considérations assez simplistes sur l’amour, qui au bout de 650 pages énervent un peu tant elles sont presque naïves. Mais bon, ça passe, ça s’avale tout seul, c’est surtout accessible à tous.
Dicker a appliqué la recette et c’est ce qui fait que son roman se trouve à la croisée de Lolita et Twin Peaks, propose un dénouement à tendance Sixième sens et une présentation/implication jusqu’au-boutiste à la Arthur Phillips et sa tragédie shakespearienne supposée (un must-read que je vous conseille d’ailleurs) et peut se lire par un large éventail de lecteurs aux profils différents.
Joël Dicker est donc un auteur intelligent, qui a compris les principes de l’offre et de la demande, du marketing et de la consommation. Pari gagné : la majorité lui broute dans la main, le film (acheté par Hollywood bien sûr) est à l’étude, et toi, t’as envie de suivre ses conseils et d’écrire un best-seller.
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