Le 12 juillet 1962, The Rollin’ Stones, un groupe de rythm’n blues électrique qui ne veut surtout pas qu’on le prenne pour “un de ces groupes de rock’n roll”, remplace Alexis Korner sur la scène d’un club de jazz londonien, le Marquee. Ainsi commencent cinquante ans d’une épopée qui ne concerne pas seulement Brian Jones, Mick Jagger, Keith Richards (Charlie Watts et Bill Wyman ne les rejoindront que quelques mois plus tard), mais toute la mutation d’une époque, l’arrivée de la télévision, le rôle de la jeunesse et la transformation des moeurs, un rapport modifié entre les langues et les nations. Mais surtout, le destin. Quand bien même il y a des morts (par l’eau, pour Brian Jones, par le fer, pour Meredith Hunter à Altamont, par le feu, pour Gram Parsons). Et pourquoi, parmi des centaines et milliers d’adolescents du même âge qui découvraient eux aussi la guitare et jouaient la même chose, c’est sur eux, les deux de Dartford, que catalyse l’épopée excessive ? Il y a bien sûr, en parallèle, l’histoire de la drogue, il y a des histoires d’argent, des amours croisées. Il y a des brouilles, et des nuits de studio qui n’aboutissent à rien. Mais il y a d’abord la beauté des guitares et des musiques, l’invention qui va plus vite qu’eux, mais où ils essayent de se grandir. Et si cette histoire est une légende, c’est parce que nous-mêmes nous nous sommes formés au travers elle. Ce sont nos rêves, nos rébellions, notre propre invention, et ce qu’on a fait de nos temps adultes. C’est pour cela qu’il faut y aller voir de près. Leur célébrité excessive permet que leur propre histoire soit documentée à l’extrême. Et pourtant, il manque toujours l’essentiel : le secret par lequel chacun d’entre eux garde son domaine réservé. Les interprétations qu’ils donnent de leur propre histoire, le regard précis sur les techniques, les disques et les concerts, nous aident à venir au bord de ce secret. La première version de ce livre a été publiée par les éditions Fayard en 2002. Dix ans après, quand vient le cinquantième anniversaire de ce premier concert au Marquee, il était bon de rouvrir le dossier, le préciser, le réviser là où nécessaire, augmenter la résolution du microscope – la folie des récits, de l’aventure même, est intacte. FB